3 - CARREFOUR

Samedi 14 septembre 2013

Les deux bus espagnols sont arrivés, ils se sont garés sur la place des Marronniers. Quatre-vingt-huit Espagnols ont fait le voyage dans le cadre d’un programme européen appelé « Participative democracy ». La petite commune espagnole de Marinaleda, près de Séville, et celle de La Peyratte ont décidé de lancer un réseau européen pour aider les villages ruraux à construire une démocratie locale reposant sur l’implication des citoyens. Cette première rencontre qui s’engage aujourd’hui doit permettre de définir les bases de ce rapprochement, il devrait accueillir dès l’année prochaine des représentants de communes portugaises, autrichiennes, et estoniennes. Hélène a utilisé ses relations ibériques pour entrer en contact avec la municipalité de Marinaleda. Le courant a très vite passé entre elle et Manuel, le maire étonnant de ce village aux pratiques politiques sinon étranges du moins rarissimes.

Les Espagnols dès leur descente des véhicules ont offert un cadeau symbolique aux Peyrattais : quatre-vingt-huit plants de chêne vert, des arbres à la résistance exceptionnelle, résistance au feu et à la sécheresse, capables de vivre plusieurs siècles, « le temps de notre amitié », a dit Manuel. Quatre-vingt-huit Peyrattais ont été chargés de les planter et de les protéger, ils ont été nommés parrains des chênes de Marinaleda.

Une première réunion s’est tenue sous le grand tivoli contigu à la salle des fêtes, celle-ci étant bien trop exiguë pour accueillir l’ensemble des participants. Hélène et Gérard, qui lui a succédé en tant que maire, après quelques mots d’accueil, ont raconté brièvement vingt-quatre années d’innovations démocratiques, le rôle de l’assemblée villageoise, les conventions citoyennes, etc. Manuel a ensuite expliqué qu’à Marinaleda, commune de 2700 habitants, il n’y a pas de policiers, pas de voleurs, moins de chômage qu’ailleurs, on partage le travail, on paie son loyer 15 euros par mois, le maire et ses adjoints ne sont pas rémunérés et ce sont les habitants qui commandent. Il a ajouté : « Pour moi, on a réussi à atteindre notre rêve ». À La Peyratte, on a beau être habitué aux innovations, parfois appelées par certains « les idées folles de quelques illuminés », les déclarations de Miguel font malgré tout sensation. Tout le monde veut en savoir davantage… Ce sera pour demain, lors des ateliers qui permettront d’approfondir les initiatives des uns et des autres.

Il est 19 heures, l’heure de prendre l’apéro, un peu tôt pour les Espagnols… Tout le monde est sorti de l’immense tivoli, abandonnant l’escouade de bénévoles chargée de transformer cette salle provisoire en restaurant et lieu de spectacle. La foule s’est massée sous les marronniers, près de la Croix hosannière. En cette fin d’été, la température est douce et l’ambiance très chaleureuse, les relations se sont très vite dégelées, les groupes se mêlent, les rires fusent, Espagnols et Français multiplient les gestes pour essayer de se faire comprendre, autant de moulins à vent actifs qui auraient bien plu à Cervantes. Les interprètes bénévoles sont vite débordés. Je suis frappé par cette facilité à échanger malgré les difficultés linguistiques, à se trouver heureux d’être ensemble, alors que quelques heures auparavant on ne se connaissait pas, et peut-être même avait-on une certaine appréhension, une certaine peur de l’inconnu, de l’étranger. La rencontre et le partage entre les peuples, voilà le meilleur antidote au poison de la haine.

Il est 20 heures. Nous retournons sous le tivoli. L’espace est transformé. De nombreuses tables et chaises sont soigneusement alignées, nous devrions être plus de 500 convives. Une scène a été improvisée, elle est éclairée par des projecteurs, le fond de scène est drapé aux couleurs jaune et rouge de l’Espagne. Le repas est préparé par nos amis espagnols, trois cuisiniers professionnels les accompagnent. Ils offrent également le spectacle : dix danseuses et danseurs du Ballet Flamenco de Andalucía, nous allons nous régaler, au propre et au figuré. Au menu : gaspacho froid, cocido andalou, une sorte de ragoût composé de plusieurs viandes, on ne m’a pas précisé lesquelles, des pois chiches, des pommes de terre, du chou, puis un fromage local de brebis et des oranges Cara cara, un pur délice parait-il. Manuel, son épouse Cecilia, Gérard et Karine, Hélène et moi, nous nous asseyons à une table toute proche de la scène. Nous parlons abondamment, nous avons tous hâte de mieux nous connaitre, de découvrir les difficultés et les réussites des uns et des autres. Hélène n’arrive pas à manger tant elle est sollicitée pour les traductions, la prof d’espagnol est un secours précieux. Elle nous dit, tout sourire : « Ne vous inquiétez pas, je bois vos paroles et me nourris de vos idées ». La formule nous séduit et Manuel lui remplit son verre en disant dans un français très ibérique : « Salud, amie mía ! » Nous avons bien sûr parlé de sécheresse et des problèmes d’eau que connait l’Espagne. Manuel nous a raconté la situation de sa région...